Martin Bruneau 16/07>01/08
Temple protestant - Porte saint andré
Martin Bruneau est né au Canada. Il vit depuis 1992 avec l’artiste Isa Bordat à Autun, en Bourgogne, où il a établi son atelier. Il expose régulièrement à Paris à la galerie Isabelle Gounod.
Martin Bruneau n’a jamais cessé de questionner le sens de la peinture, notamment à travers l’appropriation iconographique. Depuis ses études, il reste fidèle au parti-pris de toujours revenir à la peinture comme « medium » pour découvrir et comprendre le monde.
Mirabilis blanc et Mirabilis noir
Mirabilis blanc et Mirabilis noir, aujourd’hui présentées dans le temple protestant d’Autun, ont été réalisées à l’occasion d’une exposition en 2008 à l’abbaye de Maubuisson, lieu qui fut important dans l’histoire du jansénisme. Réforme de l’extérieur, réforme de l’intérieur, hérésie ou excommunication, protestantisme et jansénisme questionnent le dogme et cherchent à retrouver la pureté du christianisme. Et le peintre, lui, questionne la peinture. Au pinceau. Or, qui veut prendre l’histoire de la peinture comme « matière » à peindre, ne peut ignorer l’art sacré. Et le questionnement se dédouble : que veut dire faire de la peinture et s’inscrire obstinément dans son histoire à l’époque de l’art contemporain tout en restant actuel ?
Mirabilis noir et Mirabilis blanc se voient d’abord comme un agencement d’œuvres figuratives majeures. La façon dont celles-ci sont captées fait passer au second plan ce qu’elles représentent et au premier leurs qualités formelles. Elles ne construisent pas un récit mais s’articulent, comme des marques abstraites, avec d’autres images. Elles sont bousculées : une ménine, seule, peinte à l’horizontale ; Gabrielle d’Estrées et sa sœur lui pinçant délicatement le sein basculées la tête en bas ; les femmes enlacées après l’amour de Courbet (le Sommeil) érigées à la verticale, étreinte passionnée plutôt que repos. Le quadrillage qui recouvre de façon complémentaire les deux toiles, en creux pour Mirabilis blanc et en plein pour Mirabilis noir, morcelle de façon aléatoire ces œuvres, les compartimente, en singularise tel ou tel aspect sans que pour autant, à l’aide de notre mémoire, l’ensemble ne soit gommé. Le peintre ne redouble pas la représentation, il la dé-figure.
Pourtant deux figures verticales dans une autre région de la toile semblent, elles, affectées par les lois de la pesanteur : un réacteur nucléaire et un autoportrait en dindon, masqué à la manière d’Ensor… La crête du dindon est un gant (une main?) qui masque l’œil droit du peintre, comme dans un clin d’œil. La trame dissimule son expression mais le mouvement de ses pieds évoque légèreté et jubilation : farce ? énigme ?
Ou tragique ? Car les deux toiles monumentales constituent une seule et même œuvre et dialoguent au sein d’un sous-titre commun : « Naufrages ». Deux éléments en particulier de Mirabilis blanc renvoient à Mirabilis noir où domine le célèbre ex voto du peintre janséniste Philippe de Champaigne. Le crâne, d’abord, déposé en bas de la toile évoque les vanités des natures mortes du XVIIe siècle (mais qui représente aussi La peinture pour le peintre dans l’ensemble de son œuvre, or le dindon n’est-il pas l’animal par excellence de la vanité?). L’identité ensuite de la belle baigneuse, Gabrielle d’Estrées, dont la sœur Angélique fut abbesse de Maubuisson, puis chassée pour cause de libertinage et remplacée par son ancienne protégée Angélique Arnault, réformatrice de l’ordre de Port-Royal.
Mirabilis blanc peut se regarder comme un triptyque. Après l’évocation du libertinage au bain, l’étreinte saphique occupe le côté gauche. En pendant, à droite, deux femmes à nouveau, deux religieuses vêtues de l’austère habit de Port Royal des Champs. C’est l’abbaye de Maubuisson, son cadre imposant et sa place dans l’histoire du jansénisme au XVIIe siècle qui a induit la présence du célèbre Ex voto. Par cette toile, sa rigueur géométrique et sa solennité extrêmes, Champaigne rendait grâce de la guérison miraculeuse de sa fille Catherine par la prière d’Agnès Arnault qui avait succédé à sa soeur Angélique à la tête de Port-Royal. Le peintre avait voulu rendre compte de l’événement par la représentation de l’instant précis où l’abbesse a enfin cru que le cœur de Catherine était traversé par la grâce et qu’elle allait guérir. La trame d’un bleu de Prusse voile la toile de Champaigne, semblant ne pas oser la cacher tout à fait, tout en laissant la lumière se concentrer sur le plissé sculptural de l’habit des deux nones et cadrer le regard d’Agnès Arnault.
Aléatoire et libre association cohabitent comme dans une peinture automatique au sens des surréalistes. Les rencontres fortuites sont toujours guidées par une recherche formelle, mais aussi, et de façon parfois indiscernable, par un dessein. La lecture des toiles se fait entre l’opacité de la peinture et le sens qui se dégage des associations de différents signes. Ce va et vient ressemble pour l’artiste à notre expérience visuelle quotidienne et à la manière dont nous construisons notre monde. Dans une de ses premières esquisses, le peintre avait figuré un train traversant dans le sens de la largeur toute la toile de Mirabilis noir. Finalement, c’est un paquebot échoué dans l’antarctique, au moment de la réalisation de l’œuvre et au nom suggestif d’Explorer, qui est venu occuper le centre du triptyque en miroir avec le réacteur nucléaire. Que vient faire cette irruption de la technique ? Ne convoque-t-elle pas, à partir de la toile de Champaigne, élément saillant d’un point de vue formel et premier du point de vue de l’intention, une interrogation sur la croyance ? L’Ex voto de 1662 exprimait le rapport entre la croyance et la raison qui se noue avec le jansénisme : ici, nulle fantasmagorie dans le miracle, la croyance est fondée et la raison limitée par le surnaturel. Puis les modernes ont cru se passer de la croyance et fonder le progrès humain sur la seule raison. Mais n’est-ce pas une adhésion aveugle, une croyance devenue irraisonnée dans la puissance de la technique (avec l’énergie nucléaire notamment) qui nous a conduit, aujourd’hui, au bord du « naufrage » ?
Une « grille » de lecture ne fait que relier certains éléments au détriment d’autres chaines d’associations tout aussi signifiantes, comme pourrait l’être par exemple une méditation sur les types de liens qui relient trois portraits de deux femmes sous le regard du peintre à des époques différentes de la peinture. En aucun cas une grille ne peut prétendre réduire. Elle montre, elle cache, elle voile. Elle ne saurait empêcher la contemplation, l’admiration et la surprise devant la peinture pour la peinture et sa grâce. Mirabilis…
Sophie Poirot-Delpech,
Socio-Anthropologue, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.
note : Ces œuvres ont été réalisées dans le cadre des expositions MIRABILIS de Martin Bruneau à l’abbaye de Maubuisson - site d’art contemporain du Conseil général du Val d’Oise et à la Galerie Isabelle Gounod. Martin Bruneau tient à remercier l’équipe de l’abbaye de Maubuisson, Caroline Coll (directrice en 2008), la Délégation générale du Québec à Paris, le Centre culturel canadien de Paris ainsi qu’Isabelle Gounod.
Martin Bruneau was born in Canada. Since 1992, he set up his studio in Autun, Burgundy, where he lives with the artist Isa Bordat. He has regular exhibitions in Paris at the Isabelle Gounod Gallery.
In his work, Martin Bruneau questions the meaning of painting especially through the use of iconographic appropriations. He has, since the time of his studies, steadfastly returned to the medium of paint as a means to discover and understand the world we live in.
Mirabilis blanc & Mirabilis noir
Mirabilis blanc and Mirabilis noir exhibited in the protestant chapel of Autun were painted at the behest of the centre d’art contemporain de l’abbaye de Maubuisson for an exhibition in the Fall of 2008. The Maubuisson abbey was an important actor in the history of Jansenism in the 17th century. Reform from the inside, reform from without, heresy or excommunication, Protestants and Jansenist questioned dogma and sought the purity of the Christian faith. The painter, from his position, questions the role of "painting" with his brushes. When you want to use the history of painting as a subject matter, you cannot ignore the history of sacred art. Likewise, what does it mean to produce paintings today while taking its history into consideration, and at the same time wanting to be current in this period of Contemporary Art?
Mirabilis blanc and Mirabilis noir can at first be seen as a juxtaposition of major figurative classical works of painting. The manner in which these works are shown pushes their content to the background while bringing forward their formal or abstract qualities. Their intention is not to produce a narrative, but rather to articulate with other images as if they were abstract signs. They are jostled together: a Meninas, alone, painted horizontally; Gabrielle d’Estrées with her sister delicately pinching her nipple positioned head over heels; Courbet’s entwined sleeping beauties (le Sommeil - erected vertically that calls to mind a passionate embrace more than the idea of sleep). The grid which covers in a complimentary manner both works, in the positive for Mirabilis blanc and in the negative for Mirabilis noir. The grid partitions the classic works into small random units, singling out certain aspects and particular details. Yet, thanks to our memory, we do not lose sight of the original work of art. The painter doesn’t re-copy the representation, he dis-figures it.
Nonetheless, in other parts of the Mirabilis paintings, two vertical figures seem to be affected by the laws of gravity: a nuclear reactor and a self-portrait disguised as a turkey, masked like an Ensor painting… The turkey’s crest is a glove (a hand?) that hides the model’s right eye, as if he were winking at us. The grid hides his expression but the movement of his feet evoke levity and jubilation: joke? enigma?
Or tragedy? The two monumental Mirabilis paintings, both subtitled "Naufrages", dialogue as if one work. Two elements in Mirabilis blanc particularly refer back to Mirabilis noir where we find the famous Ex Voto by Philippe de Champaigne. First the skull, placed at the base of the painting, evokes Vanities in Still Life paintings of the XVII century (which is also a representation of the concept of Painting in the eye of Bruneau - and isn’t the turkey a perfect representation of vanity?). Secondly, is the identity of the beautiful bather, Gabrielle d’Estrées, who’s sister Angélique was no other than the abbesses of Maubuisson, who was later removed for licentiousness and replaced by her protégée Angélique Arnault, reformer of the strict Order of Port-Royal.
Mirabilis blanc can be seen as a triptych. After the evocation of the licentiousness in the bath, the sapphic embrace occupies the left side of the painting. In a counterpoise, on the right-hand side of the painting, there are two nuns dressed in the austere garment of Port-Royal des Champs. It is the Maubuisson Abbaye with its imposing setting and its role in the history of Jansenism in the 17th century that induced the presence of the famous Ex Voto. In this painting, with its rigorous geometry and extreme solemnity, de Champaigne is giving grace to the miraculous healing of his daughter Catherine by the prayers of Agnès Arnault, sister of Angélique, who succeeded her at the head of Port-Royal. The painter wished to render the event by representing the precise moment when the abbess finally believed that the heart of Catherine was traversed by the Grace and that she would be healed. The Prussian blue grid veils the work by de Champaigne, as if to partially hide it, while letting the light fall upon on the sculpturally pleated robe of the two nuns whilst framing the face of Agnès Arnault.
Randomness and free association cohabit one another, in a Surrealist’s sense, as in an Automatist painting. Haphazard encounters are always guided by formal preoccupations, but also, sometimes, imperceptibly by design. The meaning of the works can be read between the opacity of the paint and the meaning that emerges from the association of different signs. For the artist, this oscillation resembles what we experience visually in a daily fashion and affects how we construct our view of the world. In one of his initial sketches, the artist had drawn a train crossing the whole width of Mirabilis noir. Finally, the artist chose to represent the cruise ship Explorer that was shipwrecked in the Antarctic at the time he was working on this project. The ship occupies a vertical position at the centre of the painting facing towards, as in a mirror, the nuclear power plant depicted on Mirabilis blanc. Why this sudden eruption of technology? Doesn’t it convene, since Philippe de Champaigne’s Ex Voto, a question of belief? The Ex Voto of 1662 expressed the relationship between belief and reason which were bonded in Jansenism: Here, no phantasmagory in miracles, faith has its foundation and the supernatural places limits on reason. Later, the moderns thought they could do without faith and build human progress on reason alone. But isn’t this simply blindness, an irrational faith in the power of technology (as with nuclear energy), which is driving us today to the edge of another shipwreck?
A reading "grid" only connects certain elements to the detriment of other thought processes, which are just as significant, for example, as a rumination on the types of connections that link three double portraits of women to a painter's gaze; and in different moments in the history of painting. No matter what, a grid cannot hope to summarize. A grid reveals, it hides, and it veils. It cannot prevent contemplation, admiration and surprise when dealing with art for art’s sake and the grace of painting. Mirabilis…