Shirin Neshat est une artiste et réalisatrice d’origine iranienne vivant à New York. Son travail fait appel à différents supports : photographie, vidéo et cinéma.
De nombreuses expositions lui ont été consacrées dans des galeries et des musées à travers le monde, notamment le musée Correr à Venise, le musée Hirshhorn et son jardin de sculptures à Washington D.C., le Detroit Institute of Arts, et la Serpentine Gallery de Londres. Une vaste rétrospective de son œuvre, “Shirin Neshat: I Will Greet The Sun Again”, s’est tenue en 2020 au Broad Museum de Los Angeles, et est actuellement visible au Musée d’Art moderne de Fort Worth (Texas).
Shirin Neshat s’est vue décerner le Lion d’Or (premier prix international) de la 48ème Biennale de Venise en 1999, le Crystal Award du Forum Economique Mondial de Davos en 2014, ainsi que le Praemium Imperiale en 2017.
Elle a réalisé deux longs métrages : Women Without Men (2009) qui a reçu le Lion d’Argent (Meilleur.e réalisateur.trice) au 66ème Festival International du Film de Venise, et Looking for Oum Kulthum (2017). En 2017, elle a également mis en scène son premier opéra, Aïda, au Festival de musique de Salzbourg.
Shirin Neshat est représentée par la Gladstone Gallery (New York et Bruxelles) et la Goodman Gallery (Londres, Johannesbourg et Cape Town).

Turbulent

Turbulent (9’38) (1998)
Turbulent marque le moment où j’ai bifurqué de la photographie vers l’installation vidéo; c’est aussi la première fois que j’ai tenté de me concentrer sur la question du genre dans dans son rapport à la structure sociale de l’Iran islamique. Au coeur de cette oeuvre, il y a le désir d’interroger l’absence des femmes iraniennes dans la pratique musicale (on a souvent interdit aux femmes de prendre part à cette activité, tandis que les hommes ont le champ libre pour se produire en public comme pour enregistrer). Turbulent a été conçu comme une projection dédoublée sur deux écrans qui se font face. Le spectateur, placé entre les deux, assiste à un duel musical entre un chanteur et une chanteuse. Le chanteur interprète devant un public captivé une chanson d’amour passionnée du répertoire traditionnel, dont les paroles sont du grand mystique iranien Rumi (la partition, chantée par Shahram Nazeri, est interprétée en playback par Shoja Azari) tandis que la chanteuse, elle (jouée par Sussan Deyhim) se livre à des modulations vocales bien plus inhabituelles devant un auditorium désert, atteignant une intensité d’émotion qui laisse le chanteur et son public cloués sur place. D’un point de vue visuel et conceptuel, j’ai organisé Turbulent autour de la notion de contraires : formes noires et formes blanches, chanteur et chanteuse, salle pleine et salle vide, caméra fixe et caméra mobile, musique traditionnelle et musique sortant de la tradition. Au bout du compte, la chanteuse subvertit toutes les règles de la musique traditionnelle et crée un style qui lui est propre, tandis que le chanteur ne sort pas du périmètre défini par les conventions.
Shirin Neshat (Traduction : Jean-Marc Victor)

Roja

Série Dreamers (Les rêveurs), 2016
Roja (2016) est né de l'univers onirique de Neshat, de ses souvenirs et de sa nostalgie pour la culture et la vie de son pays d'origine.
Dans Roja, elle dépeint les tentatives fantasmatiques d'une femme iranienne, dans laquelle on reconnaît aisément la jeune Shirin Neshat, d'embrasser la culture américaine tout en se réconciliant avec son identité ancestrale. De plus en plus étrangère à ces deux cultures, le personnage du film est à la fois attiré et repoussé par l'une et l'autre. Les frontières entre l'étranger et le familier, entre les origines et la vie nouvelle, sont abolies. Au bout du compte, Roja est un commentaire très personnel de Neshat sur le déracinement, sur la perte de repères entre hier et aujourd'hui, sur le désir de retrouver, comme elle le dit, une mère ou, plus profondément, une terre maternelle. Neshat a choisi pour Roja un cadre étrangement surréel et isolé dont les bâtiments, dignes d'une utopie, même s'ils ont été filmés aux Etats-Unis, pourraient aussi bien se trouver au Moyen Orient -- un univers bizarre doté d'une lourde charge psychologique qu'on parvient à reconnaître sans toutefois l'identifier pleinement, et dont les acteurs semblent (de façon inquiétante) étrangement libérés de l'espace et du temps. Par son récit non-linéaire tout en ruptures, source de confusion, et ses jeux de caméra déstabilistants, Roja nous ouvre à l'expérience sensible du déplacement, du flottement, entre tradition et modernité, dans un monde brouillant les frontières entre réalité et fiction. La première partie du film, particulièrement impressionnante, montre une scène de cabaret qui fait vaciller chez Roja le sentiment de sécurité, aussi bien émotionnel et que social, et en vient à remettre en question son identité sur un mode cauchemardesque. A l'heure de migrations qui posent question, de l'islamisme, de l'oppression culturelle et religieuse des femmes, des printemps arabes et de leurs conséquences désastreuses, des tensions culturelles croissantes et de l'éloignement entre Orient et Occident, le travail personnel et sensible de Neshat, refusant les réponses simplistes comme les revendications sociales fourre-tout, mérite une attention particulière. Son oeuvre interroge les structures sociales et culturelles occidentales avec une grande force critique et émotionnelle, et s'ouvre ainsi au dialogue entre les cultures. Avec sa trilogie Dreamers, Shirin Neshat confirme la place centrale qu'elle occupe dans l'analyse des relations entre l'Est et l'Ouest.

 

Shirin Neshat is an Iranian-born artist and filmmaker living in New York. Neshat works with the mediums of photography, video and film.
Neshat has held numerous solo exhibitions at galleries and museums worldwide, including the Museo Correr in Venice, Italy; the Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Washington D.C.; Detroit Institute of the Arts; the Serpentine Gallery, London. A major retrospective of her work, “Shirin Neshat: I Will Greet The Sun Again,” was recently held at The Broad Museum, Los Angeles and is currently on view at The Modern Art Museum of Fort Worth.
Neshat has been the recipient of the Golden Lion Award - the First International Prize at the 48th Venice Biennial (1999), The Davos World Economic Forum’s Crystal Award (2014), and the Praemium Imperiale (2017).
Neshat has directed two feature-length films, Women Without Men (2009), which received the Silver Lion Award for Best Director at the 66 th Venice International Film Festival, and Looking For Oum Kulthum (2017). In 2017, Neshat also directed her first opera, AIDA at the Salzburg Music Festival, in Austria.
Shirin Neshat is represented by Gladstone Gallery, New York and Brussels and Goodman Gallery, London, Johannesburg, and Cape Town.

Turbulent

Turbulent (9’38) (1998)
Turbulent marks my departure from still photography toward video installation, and it was my first attempt to focus on the issue of gender in relation to the social structure of Islamic Iran. The main subject of the work is an inquiry into the absence of Iranian women from musical practice (women have often been banned from taking part in such activity, while men are free to enjoy public performances and recordings). Turbulent was designed as a two-channel projection for two facing screens. The viewer, standing in between them, witnesses a musical duel between male and female singers/ The man performs, before an appreciative audience, a traditional, passionate love song with lyrics by the great Iranian mystic Rumi (the vocal, sung by Shahram Nazeri, was lip-synched by Shoja Azari); while the woman (played by Sussan Deyhim) performs a more unusual vocalization to an empty auditorium, building to an emotional intensity that then transfixes the male singer and his audience. Visually and conceptually, I conceived Turbulent around the idea of opposites –black and white forms, male and female singers, empty and full theatres, stationary and rotating cameras, traditional and nontraditional music. Ultimately, the female singer subverts every rule of traditional music and pioneers a style of her own, while the male singer remains within the perimeter of convention.
– Shirin Neshat

Roja

Dreamers series, 2016
Roja (2016) grows out of Neshat’s dream world, her memories and longings for the culture and life in her original homeland.
In Roja, she paints the haunted attempts of an Iranian woman, easily identifiable as the young Shirin Neshat, to associate herself with American culture while reconciling herself with her ancestral identity. In increasing alienation from both cultures, the protagonist of the lm is at the same time attracted to and repelled by them. The boundaries between foreign and familiar, between origin and new life are abolished. Roja is ultimately a very personal comment by Neshat on homelessness, on being lost between yesterday and today, on longing, as she says, for a mother or, going further, for a motherland. Neshat places her Roja in strangely surreal and alienated surroundings, whose utopian-looking buildings, though filmed in the United States, could also be situated in the Middle East; a bizarre psychologically charged world that can be recognized but is impossible to identify, and whose enactors appear (in an eerie way) strangely freed from place and time. In a nonlinear narrative full of fractures and often confusing and destabilizing camera work, Roja makes us sensible to feelings of displacement, of floating between tradition and modernity, a blurred world between reality and fiction. Particularly impressive in the film is the theatrical cabaret appearance of the first part, which topples Roja’s social and emotional security and becomes a nightmarish challenge to her identity.  In times of migration issues, Islamism, the cultural and religious oppression of women, the Arab Spring and its disastrous consequences, growing cultural tensions and estrangement between Occident and Orient, Neshat’s personal and sensitive work, which never aims at simple answers or makes super social demands, merits special attention. Her work interrogates Western social and cultural forms with critical and emotional power and so opens up a dialogue between cultures. With her trilogy, which can now be seen at the Kunstraum Dornbirn, Shirin Neshat underpins her central position in the discourse on the relationship between East and West.
-Written by Gerald Matt